La présence d’eau sur la Lune se précise … en profondeur


Une équipe de chercheurs chinois a analysé les échantillons rapportés lors de la mission Chang’e-6, menée en 2024 sur la face cachée de la Lune. Leur objectif principal était de mieux appréhender l’abondance en eau dans le manteau de cette région de l’astre. L’étude révèle ainsi une hétérogénéité hémisphérique du manteau lunaire, semblable à celle observée pour de nombreuses caractéristiques de surface. Cette découverte pourrait, à terme, offrir de nouvelles pistes pour mieux comprendre la formation de notre voisine.

La présence d’eau sur la Lune n’est aujourd’hui plus un mystère. À l’origine, Apollo, la première mission sur la Lune dans les années 70, avait conduit à conclure qu’elle était pourtant sèche. Ce n’est que vingt années plus tard que cette affirmation a été contredite grâce à l’évolution des technologies d’analyse et satellitaires, avec d’abord la découverte d’eau dans des petites billes de verre volcanique, puis plus tard sous forme de glace dans les cratères constamment ombragés. En 2020, la Nasa finit même par découvrir de l’eau dans les zones ensoleillées pour « des concentrations équivalentes à celles d’une bouteille de 35 cl dans un mètre cube de sol lunaire ». Pour autant est-ce que sa présence sur l’astre s’arrête ici ? Les missions se poursuivent pour en révéler tous les secrets, puisque cette ressource serait cruciale pour les projets de bases habitées, entre autres. L’administration spatiale nationale chinoise (CNSA) a ainsi effectué une mission, nommée Chang’e 6 (CE6), pour la première fois sur la face cachée de la Lune [1] en milieu d’année 2024. Près d’un an plus tard, une équipe de chercheurs de l’Académie chinoise des sciences de Pékin fait le point sur les découvertes de cette mission dans un article publié sur la revue Nature en avril 2025. En plus de fournir des informations inédites sur une zone jusqu’ici quasiment inexplorée, les analyses permettent également d’en apprendre plus sur l’abondance de l’eau en profondeur, en particulier dans le manteau de la Lune.

Des concentrations en eau hétérogènes dans le manteau

L’analyse des échantillons des anciennes missions américaines (Apollo) et russes (Luna) ont grandement contribué à évaluer le niveau d’abondance en eau à l’intérieur de la face visible de la Lune, en particulier à proximité du « terrain KREEP de Procellarum », une zone aux caractéristiques géochimiques particulières [2]. Sur cette zone, les concentrations en eau dans le manteau oscille entre 1 μg/g et 200 μg/g [3] – ce qui représente dans l’absolu des quantités très faibles. Ici il n’est pas question d’eau liquide mais de roche hydratée, c’est-à-dire la molécule H2O contenue dans la structure cristalline de la roche.  

Pour comparer ces valeurs à celles de la face cachée, des échantillons de la mission chinoise Chang’e-6 ont été analysés. En 2024, celle-ci a exploré le bassin Pôle Sud-Aitken : le plus grand cratère, aussi appelé bassin d’impact, sur la surface de la Lune. L’attention des chercheurs a été portée sur une roche précise : le basalte, constitutif des mers lunaires [4] de la région. Ces basaltes sont issus de la fusion partielle du manteau. À plusieurs centaines de kilomètres de profondeur, un magma s’est formé dans les niveaux les plus bas du manteau, puis il est remonté par paliers, pour atteindre enfin la surface. Au cours de ce voyage, différents minéraux vont se cristalliser à l’intérieur du magma pour se retrouver in fine dans le basalte en surface. Ces minéraux permettent de fournir des informations précieuses sur les compositions chimiques à différents niveaux en profondeur, et par extension les éventuelles concentrations en eau.

Suite aux analyses effectuées sur les échantillons, les chercheurs ont déterminé des concentrations en eau très faibles pour le manteau de ce côté de la Lune, soit entre 1 à 1,5 μg/g – à contrario la concentration en eau à plus faible profondeur au niveau du « magma parent » [5] est bien plus importante, soit 15 à 168 μg/g. Ces valeurs, nettement plus basses que pour la face visible, conduisent à affirmer que le manteau de la face cachée est plus « sec ». En outre, le manteau de la Lune présenterait surtout une distribution hétérogène de l’eau dans sa globalité. À titre de comparaison, le manteau est plus hydraté sur Terre mais cela varie en fonction de la profondeur, de la même façon que pour la Lune. La concentration en eau dépasse en effet les 100 pm et peut même atteindre plusieurs milliers de ppm.

L’origine de la différence de concentration entre les deux hémisphères de la Lune est pour le moment encore inconnue pour les chercheurs, si ce n’est qu’ils supposent que l’impact sur le bassin Pôle Sud-Aitken puisse en partie en être responsable. « Compte tenu de l’échantillonnage limité de la face cachée de la Lune, il n’est pas encore certain que la caractéristique d’un manteau potentiellement plus sec documenté ici soit répandue dans tout l’hémisphère de la face cachée. Les nouvelles missions Artemis et les programmes post-Chang’e visent à collecter davantage d’échantillons de la face cachée de la Lune, démêlant ainsi davantage la distribution extrêmement hétérogène de l’abondance de l’eau sur la Lune. » expliquent les chercheurs •


[1] La face cachée de la Lune est le côté jamais visible de l’astre depuis la Terre, pour autant il peut être ensoleillé.

[2] Cette zone est caractérisée par une forte concentration en thorium.

[3] Autrement dit entre 1 microgramme d’eau pour 1 gramme de roche lunaire et 200 microgrammes d’eau pour 1 gramme de roche lunaire. On peut parler aussi de ppm.

[4] Les mers lunaires sont des plateaux basaltiques qui correspondent aux taches sombres visibles depuis la Terre.

[5] C’est ce réservoir à magma qui forme réellement le basalte.


Rédigé par François Terminet.

Image : Illustration photographique des plans de la phase 4 comprenant comprendront Chang’e-6, -7 et -8., Crédit : VCG

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