La pêche sélective a de lourdes conséquences sur la ponte des œufs des harengs


Une équipe de chercheurs norvégiens a récemment mis en avant un changement spatial brutal de la zone de ponte de la plus grande population de harengs au monde. En l’espace de quelques années, celle-ci s’est déplacée de près de mille kilomètres de sa zone de frai initiale au sud des côtes norvégiennes. Selon eux, la pêche sélective des espèces les plus âgées est une des principales causes de ce déplacement, qui peut avoir des conséquences assez graves sur les écosystèmes côtiers du pays.

La migration est une composante clé du comportement collectif et social chez les animaux. Pour les poissons marins, celle-ci s’effectue généralement en banc, lui-même formé à la fois de vétérans et de nouvelles recrues. En temps normal, il est dirigé par les ainés qui ont accumulé avec le temps assez d’expérience pour effectuer des migrations rodées entre des habitats appropriés. En parallèle, ils transmettent leurs connaissances aux nouveaux venus, de manière à pérenniser cette dynamique au fil du temps génération après génération. Par conséquent, ces migrations « optimales » sont dépendantes de la proportion des membres âgées dans les bancs. Plus celle-ci diminue, en parallèle d’une augmentation du nombre de nouveaux venus, plus les comportements migratoires peuvent radicalement être bousculés. C’est en effet ce que semble montrer une récente étude de chercheurs norvégiens publiée sur la revue Nature. En particulier, elle illustre l’impact de la pêche sélective selon l’âge sur le frai d’une espèce emblématique des côtes du pays nordique, le hareng norvégien (Clupea harengus).

Une migration de 800 km

La dynamique migratoire des harengs est caractérisée par trois phases principales : la période de frai (la ponte des œufs), l’alimentation au large et l’hivernage (le repos). Depuis les années 1950 au moins, le hareng norvégien avait progressivement descendu le long des côtes de manière à frayer au niveau de la mer de Møre dans des conditions adéquates pour la survie des œufs. Cependant, les chercheurs norvégiens ont observé un déplacement sans précédent de cette zone de frai. En l’espace de quelques années, entre 2021 et 2024, l’espèce a migré d’environ 800 km vers le nord dans les Lofoten.

À gauche: Cartographie du schéma migratoire du hareng entre 1988 et 2020 (en vert les zones d’hivernage, en jaune les zones de frai et en rouge la migration alimentaire). À droite : Cartographie de la délocalisation de la zone de frai en 2021/2024

La pêche sélective mise en cause

Selon eux, cette relocalisation brutale est liée à une double circonstance assez inédite. D’une part, la population de hareng étudiée a vécu, en 2016, une explosion du nombre de nouveaux arrivants, dépassant ainsi largement le nombre de poissons plus âgés. D’autre part, la pêche sélective des reproducteurs les plus âgés a drastiquement diminué leur nombre dans la population. Il en résulte ainsi une démographie fortement modifiée dans son ensemble. « En l’absence de la proportion minimale d’aînés informés requise pour un leadership efficace, les recrues ont trouvé leur propre chemin au sein de la population. », expliquent les chercheurs. Il y a donc eu semble-t-il « une perte de mémoire » collective ou autrement dit le seuil de mémoire requis pour le transfert culturel migratoire et l’apprentissage des jeunes n’a pas été atteint.

Néanmoins les chercheurs précisent qu’une faible quantité d’ainés n’entraine pas nécessairement un changement comme celui-ci. En effet, en 2002, dans des conditions assez similaires, la nouvelle cohorte n’a pas surpassé en leadership la génération plus âgée et la culture migratoire traditionnelle a pu être préservée. Ici la nouvelle génération de 2016, ayant agi comme meneuse plutôt que suiveuse pour de multiples raisons (taille, courant marins, etc.), a ainsi choisi une nouvelle zone de frai et l’a transmise au génération suivante. « Le réchauffement de l’océan a indirectement contribué au déplacement brutal vers les pôles du frai en affectant le mélange entre les recrues et les aînés. », précise en outre l’équipe de scientifiques.

L’étude avance que ce changement de culture migratoire pourrait avoir de nombreux effets en cascade sur les zones côtières de la Norvège. Entre autres, de nombreuses espèces dépendaient des épisodes de frai du hareng dans le sud. Les chercheurs alertent également sur les conséquences de la pêche sélective et sur le besoin d’intégrer les connaissances sur les dynamiques sociales chez ces espèces pour les stratégies de gestion dans le futur (en s’inspirant notamment de méthodes employées pour le hareng du Pacifique) de manière à « éviter une telle perturbation culturelle et la perte périodique de sites de reproduction chez les poissons en bancs ». De plus, des recherches complémentaires devront être menées pour cerner avec exactitude le seuil de mémoire requis pour la préservation de la culture migratoire chez cette espèce de poisson •


Rédigé par François Terminet.

Image : Banc de harengs

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