Dans les Alpes, l’agropastoralisme a considérablement dégradé les sols depuis 3 800 ans

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Une récente étude, datant du 14 juillet 2025, a permis de mettre en évidence l’implication des activités humaines dans l’érosion des sols alpins. En retraçant les dix derniers millénaires, les chercheurs ont observé un réel basculement vers une dégradation importante des sols, il y a environ 3 800 ans, marquée par le développement de l’agropastoralisme.

À la surface de la croûte terrestre s’étend une zone dynamique que l’on appelle « zone critique ». C’est en quelque sorte l’épiderme de notre planète : une zone très riche où siège le vivant et où interagissent l’air, l’eau et la roche. Avec le temps, les sols qui la constituent évoluent, tantôt ils se développent, tantôt ils s’érodent. Depuis quelques millénaires, les activités humaines ont commencé à avoir un impact non négligeable sur les sols [1], alors que le climat en était jusque-là le principal facteur de transformation. Une équipe de chercheurs en géochimie rattachée au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) s’est justement penchée sur cette question pour mieux cerner l’implication respective de ces deux facteurs (climat et activités humaines), et a ainsi retracé 10 000 ans d’évolution des sols de la zone critique alpine. En particulier, les chercheurs ont mis en lumière l’implication majeure des activités agropastorales [2] dans l’érosion des sols au cours des 3 800 dernières années. Ces travaux confortent en outre les résultats d’une précédente étude réalisée par les mêmes auteurs il y a un peu plus d’un an.

Caractérisation par des isotopes du lithium

Pour reconstituer l’histoire des sols sur la zone critique alpine, les chercheurs se sont rendus au lac du Bourget. C’est une zone où « l’utilisation des terres par l’Homme et la variabilité bioclimatique régionale depuis le dernier maximum glaciaire sont bien documentées », précisent-ils ; ils y ont mené une campagne d’échantillonnage qui leur a permis de remonter 9 500 ans en arrière. Puis, des analyses chimiques de certains isotopes du lithium contenus dans les sédiments lacustres ont contribué à déterminer, pour des périodes antérieures, si les sols se développaient ou s’érodaient. En comparant ces données avec celles d’autres études réalisées dans la région, les chercheurs ont finalement pu conclure de l’implication respective du climat et/ou des activités humaines dans l’érosion des sols.

Barge de carottage sur le lac du Bourget, en Savoie, lors du carottage des sédiments accumulés dans le fond du lac. Crédit : © William RAPUC / EDYTEM / CNRS Images

Une implication minime du climat …

Dans leur étude, les chercheurs ont distingué deux périodes principales. La première, il y a entre 9 500 à 3 800 ans, englobe uniquement les effets du climat sur le développement des sols dans les Alpes d’Europe occidentale. La seconde, il y a 3 800 ans jusqu’à nos jours, intègre elle les effets observables des activités humaines sur les sols.

Durant la première grande phase « climatique », les conditions étaient d’abord plutôt chaudes et sèches, sur sa première moitié, ce qui marque une phase de développement des sols avec une érosion limitée. Puis, des conditions plus fraîches et plus humides, sur sa seconde moitié, ont entrainé une érosion accrue surtout dans les chenaux. Dans l’ensemble, le climat n’a pas freiné le développement des sols durant cette période.

… mais surtout humaine

Il y a environ 3 800 ans, les activités humaines sont clairement devenues les principaux facteurs d’érosion des sols alpins. En effet, le développement du pastoralisme, puis du labour, ont entrainé 3 épisodes érosifs majeurs.

Une première vague d’érosion s’est déroulée, il y a entre 3 500 à 2 700 ans, en raison de l’essor du pastoralisme et de l’important défrichement pour le passage des troupeaux. Celle-ci a principalement affecté les parties de haute altitude entre 2 000 et 3 300 mètres.

Durant la deuxième (il y a entre 2 200 à 1 600 ans) et la troisième période (il y a 1 400 ans jusqu’à aujourd’hui), une érosion similaire des sols a été observée. Néanmoins, celle-ci a été localisée en moyenne et basse altitude, soit en dessous de 2000 mètres d’altitude, « probablement en lien avec l’expansion de l’agriculture, qui s’est ensuite intensifiée avec l’introduction de la charrue et l’émergence d’agroécosystèmes plus complexes. », détaillent les chercheurs.

Selon eux, les activités agropastorales sur l’ensemble de cette période ont entraîné des taux d’érosion 4 à 10 fois plus rapides que le développement naturel des sols. Ils témoignent même de l’apparition d’un véritable « Anthropocène pédologique ».

Gérer durablement à l’avenir

En définitive, le constat est sans appel : « Alors que le climat n’a causé que des changements minimes sur près de 10 000 ans, les activités humaines, principalement l’agriculture et le pâturage, ont renvoyé les sols alpins à un état ressemblant à celui du début de l’Holocène (âge géologique ayant débuté il y a environ 12 000 ans) en seulement quelques milliers d’années. », exposent les auteurs.

Ces résultats offrent ainsi une meilleure compréhension de l’impact des activités agricoles sur la zone critique alpine. En outre, ils peuvent être transposables à une échelle mondiale, en intégrant l’identité géologique et anthropique de chaque région. Ils pourraient par conséquent servir de guide pour mieux gérer les systèmes d’utilisation des terres et de manière plus durable •


[1] Une sol dégradé stocke moins bien le CO2, laisse plus difficilement circuler l’eau et possède une fertilité et une biodiversité réduites.

[2] L’agropastoralisme regroupe différentes pratiques agricoles ayant comme point commun d’allier l’activité d’élevage et les cultures qui y sont associées pour nourrir le troupeau (prairies, céréales, châtaignes…). Source : Parc national des Cévennes


Rédigé par François Terminet.

Image : Pastoralisme, Crédit : ©CERPAM

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