Des loups comme pollinisateurs ?


Après avoir suivi 6 loups d’Éthiopie pendant quelques jours, une équipe de scientifiques a identifié ces derniers comme de potentiels pollinisateurs d’une plante de la région. Cet éventuel nouveau rôle, chez l’espèce carnivore, pourrait avoir des conséquences tout à fait intéressantes pour la conservation des gènes de la fleur.

Quand on parle de pollinisateurs, on pense généralement aux abeilles, aux bourdons ou même aux papillons. Ces insectes ne sont pourtant pas les seuls, loin de là. En effet, certains mammifères participent aussi à ce mécanisme de transfert du pollen d’une fleur à une autre. Les plus fréquents sont les espèces volantes, telles que des chauves-souris, mais on retrouve aussi certains mammifères terrestres [1], de petites tailles néanmoins, comme les marsupiaux ou les rongeurs. Les plus gros se comptent sur les doigts de la main. Ils sont en fait assez peu nombreux car c’est relativement rare de les observer en quête de nectar. Pourtant, de nouvelles espèces carnivores commencent à être identifiées comme supposément impliquées dans la pollinisation. Parmi elles, des loups ont été observés en train de se nourrir du nectar d’une Kniphofia foliosa, une plante endémique d’Éthiopie.

6 loups pris en filature

Ce comportement chez les loups dans les montagnes du Balé en Éthiopie avait été observé d’abord de manière opportuniste mais répétée. Les scientifiques ont donc souhaité en savoir plus et ont ainsi mis en place un système de surveillance sur six loups différents : « un mâle subadulte (< 2 ans), quatre femelles adultes et un adulte de sexe indéterminé, appartenant à trois meutes de loups différentes ». Ces six individus ont été suivis pendant quatre jours à la fin du printemps 2023.

Les scientifiques ont finalement observé que les loups passaient jusqu’à plus d’une heure dans les champ de fleurs de K. foliosa et pouvaient passer plusieurs minutes à les lécher. Certains ont même consacré beaucoup plus de temps à la recherche de nectar. De plus, au moins un loup de chaque meute était concerné. « Cela indique que ce comportement n’est pas accidentel mais plutôt répandu au sein de la population, suggérant sa transmission à d’autres individus potentiellement par apprentissage social » s’enthousiasment les auteurs. Selon eux, ce comportement, tout de même exceptionnel, semblerait être lié au mécanisme « du dessert » (présent chez d’autres mammifères), qui agit comme une récompense et comme complément énergétique.

Un équilibre entre les espèces

Bien que le pollen et nectar étaient clairement visibles sur le museau des loups après leur repas, leur simple visite ne suffit pas à affirmer s’ils peuvent jouer un rôle de pollinisateurs pour ces plantes. Pour cocher toutes les cases, cela va dépendre de : « la fréquence de la visite des fleurs, l’ampleur de la charge en pollen de l’animal et vérifier si les visites aux inflorescences entraînent effectivement la fructification. » De plus, il est nécessaire de s’assurer que les loups n’endommagent pas les plantes, en mordant les fleurs.

Un autre élément à considérer est l’interaction de ce prétendant avec les autres pollinisateurs du système. Les fleurs ayant des quantités limitées de pollen et de nectar, il est important d’évaluer les quantités disponibles pour chaque pollinisateur, corrélées à leur mode de fonctionnement. Il est clair que chaque espèce agit différemment sur la plante et par conséquent sur la dispersion du pollen. C’est pour cela qu’un couplage entre les pollinisateurs volants et terrestres pourraient être très intéressant et productif pour les populations de K. foliosa. En effet, la dispersion locale par les loups, entre autres, pourrait davantage servir à la conservation des gènes au sein des populations végétales, tandis que les espèces volantes permettent une dispersion plus efficace et à plus grande échelle, servant ainsi de mécanisme de flux génétique (passage efficace de gènes d’une population dans une autre). Dans le futur, des études supplémentaires permettront d’affiner l’avantage de cet équilibre •


[1] Dans le cas d’une pollinisation par un mammifère terrestre, on parle de thérophilie.


Rédigé par François Terminet.

Image : Butinage dans un grand champ de K. foliosa du parc national des monts Balé en Ethiopie, Source : Ecological Society of America

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut
Aller au contenu principal